Discours d’ouverture pour l’événement public à Vernier du 07.03.20 : Le 8 mars et ses origines communistes

Chères et chers camarades,

C’est un honneur pour moi, en tant que président de la section cantonale genevoise du Parti Suisse du Travail, d’ouvrir cette soirée, qui marque le retour officiel de notre Parti dans la Commune de Vernier, avec une section et une liste de six candidates et candidats, majoritairement féminine et à l’image de la diversité de la commune, sous notre propre nom, pour les élections municipales du 15 mars. Une commune dont nous n’avons jamais été vraiment absents, où notre Parti fut bien représenté au Conseil municipal , et eut même trois magistrats : Charles Broye, Daniel Brelaz et Nelly Buntschu. Une commune où notre Parti a plus que jamais sa raison d’être.

Fondé en 1944, le Parti Suisse du Travail est aujourd’hui présent dans les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura, Valais, Berne, Zürich, Bâle, Saint-Gall et Tessin ; et bientôt en Argovie. Il est représenté dans les parlements cantonaux de Genève, Vaud, Neuchâtel et Jura, dans les exécutifs des villes de Lausanne, Renens, Le Locle, La Chaux-de-Fonds et Corcelles-Cormondrèche, ainsi que dans les délibératifs d’une trentaine de communes.

Le Parti Suisse du Travail a été fondé pour être un parti des travailleuses et travailleurs, un parti qui se bat pour intérêts matériels et moraux, pour les justes revendications des classes populaires, pour la justice sociale, pour une Suisse plus solidaire et plus démocratique, pour la solidarité internationale. C’est un combat que notre Parti mène sans concessions, dans les parlements, dans les exécutifs, comme en dehors.

Le Parti Suisse du Travail fonde sa pensée et son action sur la base du marxisme. Ile se refuse à considérer le capitalisme comme l’aboutissement de l’histoire humaine, et lutte pour le renversement de ce système fondamentalement inégalitaire, oppressif, prédateur, destructeur des êtres humains comme de la nature ; pour édifier à la place une nouvelle société socialiste, qui soit fondée sur les exigences du bien commun plutôt que du profit de quelques uns, où l’économie soit dirigée démocratiquement par la collectivité plutôt que par une poignée de possédants, où la démocratie devienne une réalité pleine et entière plutôt que d’être biaisée par le pouvoir de quelques lobbies au service d’intérêts privés.

A l’heure de l’urgence climatique, où l’exigence de profit du capitalisme pousse les grandes entreprises et les politiciens bourgeois à s’engager toujours plus en avant dans une voie fatale, quelles que puissent être leurs belles paroles, où les experts du GIEC eux-mêmes parlent de la nécessité d’un changement de système, sortir du capitalisme devient une question de survie, et la lutte fondamentale de notre Parti plus nécessaire que jamais.

Ceci, dit il fallait un sujet spécifique pour la soirée d’aujourd’hui. Le sujet qui s’imposait – la commune de Vernier ne nous ayant proposé que le soir du 7 mars comme créneau horaire possible – était naturellement celui de la journée du lendemain, le 8 mars, la grève féministe qui aura lieu pour la Journée internationale des droits des femmes (la grève a lieu, sous forme d’événements décentralisés, pas la grande manifestation, en raison des mesures prises par le Conseil fédéral pour contrer la propagation du coronavirus). Or, le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes, avant d’être une journée officielle onusienne, est une invention communiste. L’idée d’une journée internationale des femmes naît au sein du mouvement socialiste et ouvrier au XIXème siècle, organisé alors dans le cadre de la IIème Internationale. Il était clair en effet pour les fondateurs de notre mouvement politique que la cause de l’émancipation du travail et celle de l’émancipation des femmes étaient organiquement liées, que le changement social exigeait l’organisation propre des femmes dans la lutte. Différentes dates furent essayées. En 1913 et 1914, la veille du déclenchement de la grande bourcherie impérialiste que fut la Première Guerre mondiale, cet fut le 8 mars qui fut choisi. C’est en mémoire de ce choix de date que, le 8 mars 1917 (23 février selon le calendrier Julien en vigueur en Russie pré-révolutionnaire), que les ouvrières de Petrograd se mirent en grève pour réclamer la paix (la cessation de la Première Guerre mondiale) et du pain, mettant en branle des événements qui allaient déboucher sur l’abdication du tsar , la Révolution de février, toute une séquence historique de transformation qui ouvrit la porte à la Grande Révolution Socialiste d’Cctobre.

« Même dans l’égalité formelle (l’égalité devant la loi, l’ « égalité » du repu et de l’affamé, du possédant et du non-possédant), le capitalisme ne peut pas être conséquent. Et l’une des manifestations les plus criantes de cette inconséquence est l’inégalité de la femme et de l’homme. Aucun Etat bourgeois, si progressiste, républicain, démocratique soit-il, n’a reconnu l’entière égalité des droits de l’homme et de la femme. La République soviétique de Russie a, par contre, balayé d’un seul coup toutes les traces juridiques sans exception de l’infériorité de la femme et assuré aussitôt à la femme, au regard de la loi, l’égalité complète », écrivait Lénine dans la Pravda du 4 mars 1920, article « Pour la journée internationale des ouvrières »

Aussi, le 8 mars fut officiellement institué Journée des femmes en Russie soviétique en 1921, et devient officiellement journée internationale onusienne en 1977, suite à l’action diplamatique des pays socialistes, sous le nonm de Journée internationale des Nations-Unies pour les droits des femmes et la paix internationale. Le socialisme réel fit beaucoup non seulement pour garantir l’égalité en droit, mais aussi pour libérer les femmes de l’ « esclavage de la cuisine », en créant une sécurité sociale (assurance maternité) et des infrastructures (créches, école, activités extra-scolaire et soins médicaux gratuits, cantines d’entreprises bon marché), en s’engageant pour une égalité réelle, la fin des représentations patriarcales, des rapports sociaux nouveaux et basés sur l’égalité. Tout n’y fut pas parfait bien sûr, et l’égalité réelle ne fut pas atteinte, mais somme toute le bilan fut très loin d’être mauvais, surtout si on considère le point de départ dans la plupart des cas. La liquidation du socialisme, en revanche, signifia à chaque fois et partout une régression, parfois terrible si on regarde la Pologne gangrénée par l’obscurantisme catholique d’aujourd’hui.

Une exigence d’honnêteté intellectuelle m’oblige à rappeler que le premier Etat au monde à accorder le droit de vote aux femmes fut non pas la Russie soviétique, mais l’Australie (dirigée par un gouvernement social-démocrate). Il faut préciser toutefois que ces droits ne concernaient que les femmes blanches. Les Aborigènes, pourtant habitants originels de l’Australie, femmes et hommes, furent privés de tout droit, ce pendent plusieurs dizaines d’années encore. Aujourd’hui qu’une certaine propagande associe libéralisme et Occident à démocratie, et communisme à dictature, il n’est pas inutile de rappeler le progrès extraordinaire qu’a représenté la proclamation – et l’engagement pour qu’elle devienne réalité concrète – par le premier Etat ouvrier et paysan de l’histoire, de l’égalité en droits entre hommes et femmes, et entre toutes les nationalités, à une époque où l’exclusion des femmes de la vie politique et leur inégalité civile, le colonialisme et la ségrégation raciale étaient la norme.

En Suisse, il a fallu attendre, et se battre, longtemps, très longtemps, pour obtenir les droits que la Révolution d’octobre avait apporté aux femmes. L’introduction du suffrage féminin figurait parmi les revendications de la Grève générale de 1918, mais, comme vous le savez certainement, cette revendication ne fut pas satisfaite alors. A Genève, les femmes obtinrent enfin leurs droits politiques le 6 mars 1960. Nous fêtions avant hier les 60 ans de cette avancée démocratique. Au niveau fédéral, il fallut attendre encore 11 ans de plus, jusqu’en 1971. C’est récent, très récent. Beaucoup parmi nous ont vécu assez longtemps pour avoir connu la période d’avant.

Il fallut plusieurs votations populaires pour en arriver jusque là. L’électorat, entièrement masculin, a voté non à plusieurs reprises, à des majorités de plus en plus étroites, avant de finir par dire oui. Une des ces votations eut lieu en 1946. Le Parti du Travail avait en effet lancé une initiative populaire cantonale pour l’introduction des droits politiques pour les femmes en 1945, soit une année à peine après sa fondation. Ce fut un des tous premiers combats de notre Parti. La votation ne fut pas encore remportée cette fois-ci. Mais cela montre en tout cas que, d’une part il s’agissait d’un combat absolument central pour le Parti du Travail, non d’un enjeu périphérique, et d’autre part qu’il ne faut jamais se décourager devant une défaite : à force de persévérance, celle-ci peut être surmontée. La voie du progrès est toujours difficile et sinueuse, aucune avancée n’est jamais obtenue sans lutte.

Quant au principe de l’égalité hommes-femmes, il ne fut inscrit dans la Constitution fédérale qu’en 1981, sans être pour autant pleinement devenu réalité, encore de nos jours. Pour ce qui est des droits civils des femmes, le combat ne fut pas moins long et difficile que pour les droits politiques. Avant les années 70, la Suisse disposait d’un code civil particulièrement rétrograde, qui s’inscrivait parfaitement dans la société conservatrice d’alors, dans la volonté réactionnaire d’une bourgeoisie bien décidée à ne rien lâcher de ses privilèges, de rester en marge de toutes les avancées du temps. Une femme alors ne pouvait ni travailler, ni ouvrier un compte en banque sans l’autorisation écrite de son mari, qui avait le droit d’administrer ses biens. La place d’une femme était vue comme étant à la cuisine, et son salaire comme un simple salaire d’appoint pour celui de son mari. C’est l’héritage de cette époque qui explique que les droits politiques furent si longs à conquérir, et que l’égalité salariale n’est toujours pas réalisée. Le code civil ne commença à être sérieusement réformé dans le sens de plus d’égalité que dans les années 70. Le droit, pour une femme, de travailler et de disposer d’un compte bancaire sans l’autorisation de son mari ne fut pleinement acquis qu’en 1988. Le droit à l’avortement ne fut acquis qu’en 2002. L’assurance maternité en 2004.

Je voudrais insister par là pour dire à quel point les droit, qu’on croit parfois acquis, allant de soi, sont récents, furent longs et difficiles à obtenir, et sont toujours susceptibles d’être remis en cause. Aujourd’hui, la remise en cause est une triste réalité, de nos jours où l’exigence d’un réel changement doit faire face à une vague brutale de réaction néoconservatrice. Aux Etats-Unis de Trump, la remise en cause est ouverte et brutale. En Suisse, c’est plus insidieux. Mentionnons notamment les attaques de l’UDC contre les crèches – avec une révoltante démagogie, une campagne contre « l’étatisation des enfants » – attaques motivées par une conception réactionnaire : les femmes à la maison !

La lutte n’est jamais finie. Dans une brochure intitulée « Horizons féminins », éditée par la section vaudoise de notre Parti à la veille du scrutin de 1971 sur le droit de vote des femmes, il est écrit en guise de conclusion : « Le problème réel est un problème de régime. Et sa solution définitive ne sera trouvée que dans le cadre d’une société socialiste qui permette à tous, sans distinction entre les sexes, de se réaliser pleinement au service de la communauté. C’est dire que la lutte pour la libération de la femme est inséparable de la lutte commune de tous les travailleurs, hommes et femmes, contre l’injustice et l’exploitation, pour la nouvelle société sans classes de demain ». Ce combat est plus que jamais le nôtre, il est plus que jamais indispensable.

Alexander Eniline