Les exemptions fiscales pour les entreprises ne sont jamais justifiables, ni pour les sociétés de négoce, ni dans aucun autre cas

Quand on est de gauche – si on l’est vraiment – on se doit d’avoir quelques principes sur lesquels on ne transige pas, en aucune circonstance. Dans le cas contraire, on passe de fait dans le camp d’en face.

A ce titre, nous ne pouvons que trouver scandaleux les propos de Sandrine Salerno, conseillère administrative en Ville de Genève, dans le Courrier du 19 février 2020, visant à expliquer son vote, ainsi que celui de Sami Kanaan, pour un préavis positif en faveur d’une exemption fiscale pour une société, hautement lucrative, active dans le négoce de matières premières. Il est exact de rappeler que le préavis donné par la Ville n’est que consultatif, et que la décision revient au Conseil d’Etat. Il n’en reste pas moins qu’un tel préavis n’est pas dénué de portée politique. Le Parti du Travail l’avait pour cette raison fermement dénoncé comme étant totalement inacceptable. Mais les justifications qu’en donne Mme Salerno sont d’une façon plus choquantes encore.

Mme Salerno dit qu’elle ne ferait qu’appliquer la loi. Ce n’est pas tout à fait le cas. La loi, en effet, autorise l’Etat à accorder des exemptions fiscales à des entreprises, sous certaines conditions. Elle ne lui en donne pas l’obligation. Bénéficier d’une exemption fiscale ne constitue précisément pas un droit, mais un privilège, une faveur particulière, accordée par le prince selon son bon vouloir. Le principe même de l’exemption fiscale constitue une négation de l’égalité devant l’impôt, de l’égalité devant la loi, un retour au droit féodal, à base de privilèges et de législations particulières. Ne serait-ce que pour cette raison, l’idée devrait en être inacceptable lorsque l’on est de gauche.

Mais le fait est que l’appel à la loi et rien qu’à la loi n’est qu’une parade rhétorique passablement faible, puisque Sandrine Salerno a en réalité défendu une position non pas juridique, mais politique…de droite. Pour le modèle économique actuel, les sociétés de trading et leurs privilèges. Les sociétés de trading seraient « économiquement bénéfiques », puisque génératrices d’emplois et de rentrées fiscales. Certes. En outre, la présence d’une société FinTech active dans la technologie blockchain serait une bonne chose puisque « il faut choisir que l’avenir se dessine ici ou ailleurs ».

L’avenir ?! L’usage d’un gadget à la mode ferait du secteur de négoce des matières premières l’ « avenir » ? Mme Salerno est-elle au courant de ce qu’est exactement ce secteur, de ce qu’implique ce modèle d’affaire prédateur ? Ces sociétés n’ont aucune utilité sociale, ne produisent rien ; leur seule activité est un pillage néocolonial éhonté du Tiers Monde. Leur modèle d’affaire est fondé sur la spéculation, la manipulation des cours, la pression à la compression des coûts de production, au détriment des travailleurs et de l’environnement. Les conséquences en sont bien connues : flambée purement spéculative des prix de matières premières, condamnant des millions de personnes à la famine ; travail dans les mines dans des conditions proches de l’esclavage (accompli trop souvent par des enfants) ; pollution à large échelle, dont les spéculateurs n’ont que faire ; corruption des élites locales…Et c’est ce secteur, assassin et écocide, qui serait l’ « avenir » ? Nous conseillons à toutes celles et ceux qui veulent en savoir plus sur ce secteur, qui mérite apparemment d’être défendu par une conseillère administrative « socialiste », la lecture de Swiss Trading SA, publié aux Editions d’en bas, en 2011.

A cette objection, Mme Salerno botte en touche, et se contente de faire appel…à la responsabilité inviduelle, des sociétés de négoce comme des consommateurs. Les sociétés de négoce devraient « s’interroger » sur les aspects peu reluisants de leur activités. Les traders qui vont d’eux-mêmes se convertir à la responsabilité sociale et écologique, on est sérieux là ? Mais les consommateurs seraient mal placés pour les juger, puisque eux-mêmes achètent des marchandises dont le bas prix est dû aux déplorables conditions dans lesquelles elles furent produites, sans trop avoir de problèmes de conscience pour cela. Cet appel moralisateur à la responsabilité individuelle des consommateurs est profondément détestable. Des consommateurs, à qui leur maigre pouvoir d’achat ne laisse guère de choix, ne sont pas précisément à placer sur le même plan que des entreprises riches et puissantes, ni qu’une conseillère administrative qui utilise le pouvoir qu’elle a pour visiblement se mettre au service de ses dernières. La responsabilité individuelle d’inspiration libérale, c’est tout ce qui reste de l’idéal socialiste chez Mme Salerno. Mais il serait difficile de faire autrement, car, sans le secteur des matières premières, il serait impossible de maintenir, à Genève, « la société de surconsommation à laquelle nous sommes habitués ». Il serait exact de dire, à laquelle les gens aisés sont habitués. Nombre d’habitant-e-s de notre canton n’ont absolument pas les moyens financiers qui leur permettraient de connaître une vie de « surconsommation ». Maintenir une « société de surconsommation » (pour les classes supérieures), au prix d’un pillage éhonté, socialement dévastateur et destructeur de l’environnement, du reste du monde, c’est vraiment un objectif politique digne d’être porté ? L’urgence climatique, déjà oubliée ? Mme Salerno est-elle encore de gauche, un tant soit peu ?

Mais le vrai problème ne serait pas le préavis en lui-même, mais le fait qu’il ait fuité. C’est pourquoi Mme Salerno a déposé plainte contre inconnu pour la divulgation. Le secret fiscal dont bénéficient les entreprises qui bénéficient des exemptions fiscales est en effet sacré. Les droits des peuples qui souffrent de leurs activités prédatrices comme la préservation de notre environnement un peu moins. Il ne serait pas opportun d’en discuter, démocratiquement ? Surtout pas ! Il ne faudrait quand même pas que le peuple se croit en droit d’avoir son mot à dire sur les privilèges dont jouissent les puissants. Il s’agit là de la pire dérive que l’on peut envisager pour un exécutif à majorité « de gauche ». Séduits par les ors de la République, totalement intégrés au système d’Etat bourgeois, des magistrats, qui furent de gauche, intégrent totalement les pratiques d’un appareil d’Etat au service de la bourgeoise, avec l’opacité et les méthodes non-démocratiques que cela implique…finissant par avoir un problème avec la démocratie elle-même.

Face à cela « Ensemble à Gauche » (une appellation que solidaritéS et le DAL usurpent honteusement), a déposé une résolution pour interdire certaines exonérations fiscales. Fort bien, pourrait-on dire. Mais pourquoi seulement certaines ? C’est que, dit Pierre Bayenet, candidat au Conseil administratif, il ne faudrait pas nécessairement exclure « l’idée d’allégement fiscaux pour des entreprises qui créeraient des emplois, mais seulement si elles apportent de la plus-value pour l’économie réelle, circulaire, locale et en résolvant les problèmes de transition écologique ». Cela car « il faut des outils de promotion économique et nous ne voulons pas être dogmatiques ».

Des cadeaux fiscaux à des entreprises privées, à but lucratif (car seules des entreprises à but lucratif profitent de cet « outil de promotion économique »), c’est donc cela le programme de solidaritéS pour la transition écologique ? Ce mouvement ne peut de ce fait pas se prétendre anti-capitaliste, d’aucune façon. A-t-il décidé de se convertir à l’écologie de marché, avec quelques régulations et programmes sociaux ? A une social-démocratie assez modérée en somme ? Toutes les belles paroles sur la justice fiscale, tous les combats contre les cadeaux fiscaux pour les riches et les entreprises ne seraient que du vent ?

Ne pas vouloir être « dogmatique », c’est le mot d’ordre de tous les opportunistes, de tous les sociaux-démocrates qui ne croient plus au socialisme, de tous les François Hollande, qui, de concession en concession, finissent par faire une politique exactement inverse à celle préconisée par le programme sur la base duquel ils furent élus.

Mme Salerno s’est empressée de saluer ce « signe d’ouverture » de la part de Pierre Bayenet. Mais un homme que Mme Salerno approuve pour cette raison peut-il encore être considéré comme étant de gauche radicale ?

Pour ce qui nous concerne, les choses sont claires. La justice fiscale est un principe intangible, et ne saurait admettre d’exception. C’est pourquoi, les exemptions fiscales, ces privilèges d’allure féodale, doivent être proscrits en toute circonstance. Quant à la transition écologique, à l’économie locale et circulaire, la gravité même de l’urgence climatique exige un changement radical, une rupture avec le capitalisme. Nos solutions à nous reposent sur l’intervention publique, sur la propriété sociale et collective. Nos outils de « promotion économique » (quoique le syntagme fût détestable) sont ceux du socialisme et non du capitalisme.

Toute cette calamiteuse affaire incarne tout ce qui ne va pas, tout ce qui ne peut pas continuer en Ville de Genève. Pour celles et ceux qui veulent un vrai changement, une politique de gauche, sans concessions, au service des classes populaires et non pas des traders, nous appelons à voter Parti du Travail, féministes et écologistes !

Pour le Parti du Travail

Alexander Eniline

Président

 

Tobia Schnebli

Conseiller municipal, membre de la Commission des finances

 

Ariane Arlotti

Conseillère municipale

 

Morten Gisselbaek

Conseiller municipal